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POLIOMYÉLITE & INSUFFISANCE RESPIRATOIRE

Entretien avec Eva LAMBRINIDIS (Novembre 2003).
Q : Comment vous présentez-vous ?

R : Bientôt 60 ans, touché par la poliomyélite à l'âge de 11 ans avec une atteinte quasi totale entre le cou et la taille (et donc de la fonction respiratoire). J'ai récupéré l'usage de la main et du poignet gauche (j'étais droitier) ainsi que suffisamment de muscles dorsaux et intercostaux pour tenir ma tête et conserver une fonction respiratoire minimum.

Q : Quels sont les symptômes de la polio ?

R : Ça se présente comme une grippe, très anodin. Aucun symptôme immédiat. A part une raideur de la nuque qui est assez caractéristique. Mon père était médecin, il a tout de suite compris que c'était ça. Il m'a fait une ponction lombaire et fait venir un de ses collègues et ami pour avoir malheureusement confirmation, mais c'est vrai qu'en 40 ans de métier, il n'en a vu que trois, dont moi. Ce n'était pas, heureusement, une maladie trop fréquente (hors période d'épidémie). C'est une paralysie flasque, quand vous pouvez avoir l'impression que vous contractez vos muscles, et bien simplement il ne se passe rien. Ça se fait de manière atténuée, et je ne m'en suis pas rendu compte au début. Il y a des choses que je faisais plus lentement, avec moins de forces.
Et quand je suis parti à l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon dans le service du Professeur Sédallian (pavillon Chalier en face du pavillon actuel des insuffisants respiratoires), j'étais un peu dans les vaps parce que les muscles respiratoires avaient été touchés. J'étais déjà dans un état de torpeur, c'est pour ça que c'est sournois, ça vous diminue toute votre acuité intellectuelle si je puis dire. C'est un peu comme si vous étiez dans du coton, tout est étouffé, endormi. Et quand j'ai été trachéotomisé, j'étais complètement inconscient . Ceci deux, trois jours après les premiers symptômes.

Le principe des dégâts du virus… J'ai trouvé une image : c'est comme si vous tiriez un coup de fusil de chasse, avec du petit plomb, dans un central téléphonique. Au centre de la gerbe, tous les fils sont coupés et puis, plus vous vous éloignez du centre, plus il y a de temps en temps un fil coupé parce qu'il y a un petit plomb qui est arrivé à cet endroit-là et ceux des alentours ne sont pas touchés. Et bien là, c'est la même chose. Vous avez le virus qui a attaqué les commandes nerveuses. Au centre de la gerbe tout est mort et puis plus on s'éloigne du centre, plus il y a de fibres nerveuses qui n'ont pas été touchées. Si elles ont été touchées légèrement on récupère un petit peu, ce qui fait qu'il y a une phase aiguë puis après vous récupérez plus ou moins. Six mois après en pratique, vous êtes fixé sur ce qu'il vous reste. Ce qui est récupérable a été récupéré, sachant qu'on peut développer au maximum les muscles qui restent commandés. Par exemple, je sais qu'au début j'avais un peu de mal à tenir ma tête, parce que une tête c'est quand même lourd. Ils m'ont fait rester couché assez longtemps pour ne pas faire déformer la colonne vertébrale.

Mais les muscles qui ne sont plus commandés, sont morts et ne reviendront pas. On vit avec ceux qui restent, il faut apprendre à gérer ce qui reste.

Q : Comment avez-vous été soigné ?

R : Comme la fonction respiratoire était complètement “ hors service ”, la trachéotomie avait pour but de permettre une ventilation assistée par une technique qui était toute nouvelle à l'époque puisque le 1er exemplaire du modèle de respirateur qui m'a sauvé la vie avait été importé depuis moins de six mois. C'était un Engstrom. J'ai échappé au poumon d'acier à quelques mois près, sinon je pense qu'à la première bronchite, j'y serai resté.

Aucun traitement n'étant possible pour stopper la phase aiguë, après celle-ci le travail des médecins et des soignants est de mobiliser les membres dont les muscles ne sont plus commandés pour éviter les rétractions et les ankyloses articulaires. En effet, un muscle inutilisé fond et se “ fige ” dans la position ou on le laisse. La fonte musculaire réduit le muscle à la grosseur d'un tendon. Il faut aussi faire travailler toutes les fibres musculaires qui sont encore commandées pour les développer.

Par exemple, au début je ne respirais que quelques minutes et je passais toute ma respiration à demander : “ Je veux qu'on me rebranche ! Je veux qu'on me rebranche ! Je veux qu'on me rebranche ! … ”

Quand j'ai eu respiré ½ heure, puis les jours suivants 1 heure, 2h, 4h etc…je suis arrivé à la journée complète. Le problème, c'était la nuit, parce que j'avais peur que si je m'endorme, je m'arrête de respirer. Et alors deux, trois jours de suite, j'avais fait la journée complète sans difficulté respiratoire et le problème, c'était de franchir le cap du sommeil. C'est un des internes, Jean-Paul GARIN je crois, qui a eu l'idée géniale d'allumer la machine pour que j'en entende le bruit et il ne m'a pas branché dessus. Le bruit m'a rassuré et je me suis endormi. Et je ne me suis pas rebranché après. C'était une idée géniale que de faire en sorte que le bruit familier me rassure et que je m'endorme.

C'était l'hiver 1956, celui où il y a eu –30°C à Lyon. Le jour où mon père m'a emmené à l'hôpital, le thermomètre avait chuté de 18°C pendant la nuit. Mes parents venaient tous les jours. Mes sœurs aussi (mon frère était trop jeune), bien sûr. Mais je crois qu'ils ne m'en tiennent pas trop rigueur parce que je m'en suis sorti. Il ne fallait surtout pas faire de fausse route, manger suffisamment lentement. Et puis à l'époque c'était les sœurs infirmières qui faisaient le calcul des calories. Elles me présentaient des choses qui étaient peut-être caloriques mais pas très appétissantes. Dans le genre du jambon passé à la moulinette, bon, c'est un peu sec… ; Sur le plan de la nourriture c'est sûr que ce n'était pas Bocuse ! Je le comprends très bien a posteriori. Je pense qu'à l'époque, tous ceux qui nous soignaient ne regardaient pas la pendule, c'était des… ils faisaient ça par conscience… ; Vous pensez aujourd'hui ! Pour trouver des personnes vraiment engagées comme ils l'étaient à l'époque… C'est vrai qu'on était des enfants, je pense qu'on se défonce beaucoup plus pour des enfants que pour des adultes voire pour des personnes âgées.
A partir du moment où j'ai pu passer une journée complète, une fois franchi le cap de la nuit, je ne me suis plus rebranché. Il a alors été possible de laisser se refermer la trachéotomie. J'étais redevenu suffisamment autonome avec quand même le risque d'avoir une bronchite parce que je n'avais pas des muscles abdominaux très puissants pour tousser et expectorer. Je suis resté ainsi 26 ans.

Et puis nous les polios, une fois qu'on avait passé la phase aiguë, à la limite, notre espérance de vie rejoint celle de tout le monde.

Q : Que s'est-il passé à la sortie de l'hôpital ?

R : Je suis resté 2 mois et demi à l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon. Ensuite, j'ai passé 18 mois dans un centre de rééducation fonctionnelle médico-scolaire (Fondation Ellen POIDATZ) à Saint Fargeau-Ponthierry, près de Melun (Seine et Marne), et dont le directeur était le président fondateur de l'Association des Paralysés de France. C'est pour ça que je suis adhérent à l'APF et que je le suis pour des raisons presque sentimentales, parce que André TRANNOY était quelqu'un d'extraordinaire. J'y suis resté 18 mois en internat partageant le temps entre les séances de kinésithérapie, l'école, etc. J'ai redoublé ma classe de 6ème puisque l'année scolaire précédente avait été interrompue par la maladie.

A la fin de mon séjour, les séquelles de la poliomyélite étaient “ fixées ”, je savais avec quoi je devrais vivre. Je marche, à mon rythme, sans difficultés et, une fois habillé, je suis pratiquement autonome jusqu'au coucher.

Nous, on partait dans la vie avec un handicap, c'est le cas de le dire, au sens course hippique et ils nous aidaient à développer le reste pour qu'on puisse utiliser au maximum tout ce qui nous restait. Je pense que, au niveau école de vie, mesurer ce qu'on est capable de faire et l'exploiter au maximum, c'est déjà une bonne école. Au moins, on sait pourquoi on fait les choses.

Q : La maison dans laquelle vous avez grandi…

R : Ah ! Et bien la maison familiale avait 12 pièces. On était 8 enfants + les parents, ça fait 10 et mon père avait besoin de 3 pièces pour le cabinet médical. C'est pour ça que 12 pièces ce n'était pas de trop, on n'avait pas tous notre chambre… Mais il y avait de l'espace et un jardin. C'est là que j'ai retrouvé ma place après 18 mois d'absence. Mon frère cadet a beaucoup été mis à contribution dans les années qui ont suivi pour toutes les activités non scolaires. Je lui dois énormément pour m'avoir permis d'avoir une adolescence presque normale.

Q : Comment avez-vous repris votre scolarité après ?

R : Quand je suis revenu sur Lyon à la fin de l'année scolaire pour rentrer en 5ème, j'ai repris ma scolarité au lycée Ampère Saxe. Ce qui fait que j'ai fait une scolarité, en milieu ordinaire. C'était un peu une première à l'époque parce que l'intégration d'une personne handicapée, on n'en parlait pas encore. En gros ça s'est pas mal passé, j'avais des copains de classe qui étaient gentils, qui me prenaient les cours au carbone…

Le problème que ça posait pour le proviseur du lycée, c'était la responsabilité qu'il avait si jamais il m'arrivait quelque chose, que je sois bousculé ou autre. Parce que du moment que ça se passe dans l'établissement, c'est l'établissement qui est responsable. Comme j'y étais avant ma maladie, il m'a repris. Je pense qu'il ne m'aurait pas connu auparavant, il n'aurait probablement pas fait l'effort, enfin, pris les risques qu'il a accepté de prendre. Et alors, je lui suis très reconnaissant parce que c'était quelqu'un de bien. Comme le règlement intérieur interdisait de rester dans les couloirs, ou dans les salles de classe, pendant les récréations, il fallait absolument être dehors. Il m'avait autorisé à rester dans les couloirs, en me disant : “ S'il y a des règlements c'est pour passer dessus ” ce qui à l'époque m'avait beaucoup scandalisé, de la part d'une autorité morale en somme (j'avais 12 ans). Ça m'a beaucoup marqué par la suite car il m'avait dit, pour me déculpabiliser je crois, un autre truc : “ Les principes, c'est quand on n'a pas le temps de réfléchir… ; Donc on applique les principes en cas d'urgence, mais si on a le temps de réfléchir, on peut ne pas appliquer les principes ”. Ça a été un fil conducteur pour une partie de mon éducation. J'ai fait le reste de mes études dans ce lycée, j'y ai préparé mon baccalauréat en plusieurs fois parce que j'étais quand même fatigable, ce qui fait qu'en fin d'année scolaire, j'étais “ lessivé ”. Et quand il y avait un examen en juin, en général je ne le réussissais pas, je le réussissais à la deuxième session en septembre et comme pour le baccalauréat, une année entre autres, j'ai été opéré de la colonne vertébrale, … C'est vrai que j'ai “ redoublé ”, et je l'ai préparé tout seul par correspondance. C'est quand même pas facile, facile. Enfin bon. J'ai eu mon bac, c'est ça qui comptait.

Q : Quels ont été vos problèmes de santé durant l'adolescence ?

R : Sur le plan respiratoire, aucun à part quelques bronchites bien maîtrisées par les médicaments.

Par contre, n'utilisant que la main gauche, j'ai rapidement commencé une déformation de la colonne vertébrale (scoliose) du fait de la dissymétrie des efforts qui s'exerçaient sur elle.  J'ai du porter des corsets pour limiter les dégâts. Malheureusement, au moment de la croissance, les choses se sont aggravées et la seule solution “ définitive ” était de rigidifier la colonne vertébrale au moyen d'une soudure des vertèbres entre elles (arthrodèse).


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Cette opération appelée “ greffe de Harrington ” consiste à réunir entre elles les vertèbres (D6-D12 pour moi) avec de l'os spongieux prélevé sur le bassin. Protégées par une tige métallique accrochée aux apophyses d'une vertèbre au-dessus et au-dessous, les vertèbres se soudent entre elles empêchant ainsi toute déformation ultérieure à cet endroit. Grâce à cette technique, le port d'un corset n'est plus nécessaire et avantage secondaire dont on n'avait pas encore totalement conscience à l'époque, on évite une déformation ultérieure de la cage thoracique, facteur aggravant d'insuffisance respiratoire.

Il s'agit d'une opération de chirurgie orthopédique “ lourde ”, surtout pour des polios ayant été touchés sur le plan respiratoire. Déjà que le port de corsets plâtrés pour redresser au maximum la colonne avant de la bloquer entraînait une très grosse gêne respiratoire avant l'opération, la longueur de l'anesthésie aggravait les risques. Neuf mois avant mon opération, j'avais fait connaissance d'une jeune fille de mon âge, polio comme moi, avec sensiblement les mêmes séquelles y compris sur le plan respiratoire. Elle est décédée sur la table d'opération. Ça ne vous donne pas bon moral et je m'étais bien gardé d'en parler à ma famille. Ce que j'ignorais à l'époque, c'est qu'une de mes sœurs la connaissait et en avait parlé au reste de la famille en leur demandant de ne surtout pas me le dire. C'est au moins vingt ans après qu'on s'est rendu compte de cette cachotterie inutile.

Le jour de mon vingtième anniversaire, j'étais opéré et allongé depuis un mois avec encore un mois à attendre avant de pouvoir me lever, tout en re-préparant mon baccalauréat.

Q : Parlez-nous de vos études supérieures et de votre entrée dans la vie professionnelle ?

R : A ce moment-là, s'est posée la question de savoir ce que j'allais faire comme métier. Je n'ai jamais envisagé de vivre d'une allocation en tant qu'handicapé. La seule difficulté était de trouver un métier qui soit adapté à mes possibilités physiques et intellectuelles. J'ai une tournure d'esprit scientifique, mon père étant médecin…Il m'avait offert la boîte du petit chimiste quand j'avais 12 ans, des boîtes d'optique ou d'électricité. J'aurais voulu faire de la chimie, mais je me suis rendu compte très rapidement que c'était un métier qui m'était fermé puisque je ne pouvais pas manipuler. Il fallait que je trouve autre chose.

1ère hypothèse, ça aurait été de faire du droit, c'est intellectuel, j'ai une bonne mémoire, il n'y a pas besoin de ses bras pour faire du droit. Bon, c'est ce que j'aurais fait parce qu'il faut gagner sa vie, je l'aurais fait sans enthousiasme.

2ème hypothèse, les langues, être interprète. L'avantage d'être interprète, c'est que vous n'êtes jamais seul, puisque vous avez votre “ client ”, et ça fait une tierce personne de fait.

Et puis, j'ai fait une première année de fac de sciences et l'année suivante, un prof m'a dit : “ Écoutez, il y a un truc tout nouveau qui vous irait très bien parce qu'on manque cruellement de personnes formées. Il faut avoir l'esprit logique, c'est l'informatique. ”. A l'époque, je vous parle de ça c'était en 1967, celui qui avait vu un ordinateur c'était déjà un spécialiste !! Parce que les autres, ils n'en avaient jamais vu. C'est lui qui m'a orienté là-dedans et j'ai cherché à me renseigner auprès d'un gros fabriquant d'ordinateurs qui s'appelait Bull : la Compagnie Française des Machines Bull. J'étais allé les voir et celui qui m'avait reçu était légèrement handicapé, il avait une jambe raide. A la fin de l'entretien, il m'a dit : “ si vous voulez, je vous embauche tout de suite ”. J'ai dit : “ non, non ! Je viens juste me renseigner pour savoir ce que vous souhaitez comme formation, puisque je voudrais faire encore des études en fac. Qu'est-ce que j'ai intérêt à apprendre pendant celles-ci ? ”. A l'époque ils cherchaient vraiment du monde, on ne venait pas chercher du travail, on vous proposait de vous embaucher. J'ai suivi en auditeur libre, parce que je n'avais pas les certificats précédents deux certificats de mathématiques appliquées. Ce qui fait que quand j'ai vraiment cherché du travail après avoir fait un stage de six mois dans une toute petite entreprise qui s'informatisait, j'ai répondu à une petite annonce qu'un copain m'avait signalé. C'était les Docks Lyonnais, je n'ai même pas vu l'annonce. J'ai répondu à une annonce que je n'ai pas lue, et j'ai été embauché au salaire de la personne que je remplaçais. Quand je raconte ça maintenant… Comme ça je suis rentré dans la vie professionnelle à 26 ans, c'est relativement tardif. Enfin j'ai un petit peu d'excuses. Je suis rentré aux Docks Lyonnais sachant que le service informatique avait été racheté par une société de services en informatique en ce qu'on appelait une opération de “ Facilities Management ”, c'est à dire que quand une entreprise voulait changer d'ordinateur, comme ça coûtait très très cher, et bien en général, elle avait intérêt à aller voir une entreprise spécialisée dans la sous-traitance, qui lui “ rachetait ” ses salariés et qui remplaçait son vieil ordinateur par un gros mais qui appartenait à la société de services et qui lui vendait des heures pour ses besoins. Je suis entré aux Docks Lyonnais et 6 mois après, je travaillais dans les locaux de l'entreprise qui avait racheté le service informatique et qui était une filiale de CISI dont le PDG à l'époque était Serge K.. Il est très peu connu, c'était le PDG de Cap Sogeti, maintenant retraité et principal actionnaire de Cap Gemini Ernst & Young. C'est quelqu'un que je respecte énormément parce qu'il m'a donné ma chance. Il aimait bien tester ses collaborateurs, à la limite il vous proposait un travail d'un niveau supérieur à ce que vous étiez prévu de faire normalement, et si ça marchait, vous aviez la promotion correspondante. On vous mettait à l'épreuve : Vous réussissiez, tant mieux, vous ne réussissiez pas, et bien tant pis pour vous. C'est quelqu'un qui m'a permis de mener une existence professionnelle normale. Pendant 10 ans j'ai travaillé normalement (Programmeur, Analyste-programmeur, Analyste, Chef de Projet, …) avec des collègues de travail qui, à la fin, ne me voyaient absolument plus comme une personne handicapée. Il faut dire aussi que je m'étais trouvé des stratégies d'intégration, c'était intuitif, mais le résultat… Par exemple, je ne peux pas porter des choses lourdes (3,5 kg max.), or on travaillait avec des cartes perforées. Quand vous faisiez un programme, vous aviez des bacs de 2000, 3000 cartes que je ne pouvais pas porter. Donc il m'arrivait de demander des services à mes collègues de travail et pour ne pas être toujours demandeur de services, très rapidement ça s'était su que j'avais toujours des pièces de 1 F. pour les distributeurs de boisson, des enveloppes, des timbres, enfin des petits trucs classiques. Ce qui fait que les gens venaient me demander des choses avant que moi j'aie l'occasion de leur demander des services. Pour vous dire, un jour c'est même le directeur général : “ il paraît que vous avez… ” vous voyez la réputation ! De ce fait, ça me permettait de demander un service sans que les personnes aient l'impression qu'elles soient toujours mises à contribution. J'avais d'une certaine manière préparé le terrain, moi-même faisant ce que je pouvais faire… ;

Q : Vous ne pouvez pas écrire ?

Si, mais lentement, et mal. Je n'aime pas mon écriture. J'étais droitier. A 11 ans, il a fallu que j'apprenne à écrire de la main gauche. C'est pas évident. Je n'aime pas mon écriture, c'est pour ça que le traitement de texte, dès que j'ai pu m'en servir… et de toute façon, j'ai toujours eu une machine à écrire. Pour mon premier (et seul) emploi, je devais envoyer une candidature avec une lettre manuscrite. Je l'ai dactylographiée, j'ai pris le risque ! Alors pour mettre les choses de mon côté, j'avais du papier à lettre à entête. Ca faisait quand même un peu “ classe ” si j'ose dire… Et je vais vous dire, je suis tombé un jour sur le dossier des lettres qu'ils avaient reçu suite à la petite annonce. Honnêtement, j'ai trouvé pourquoi j'avais été embauché ! Ça tranchait ! Certains avaient fait ça sur du papier d'écolier, sur du papier de bloc quadrillé où l'on voyait encore la dentelure en haut. Même si ma lettre ne respectait pas les usages en n'étant pas manuscrite, ça tranchait quand même sur le reste.

Q : Quelles étaient vos contraintes à ce moment là ?

R : Principalement le fait de ne pouvoir m'habiller. Avec l'usage de la seule main gauche : je ne peux pas m'habiller, difficilement me déshabiller, pas prendre une douche ou un bain, je ne peux pas couper ma viande, éplucher un fruit, transporter une casserole, etc… je remplis à peu près tous les critères de l'attribution de la tierce personne. C'est ma mère qui a assumé ce rôle depuis mon retour de St Fargeau. Après le décès de mon père qui a eu la satisfaction de voir que j'avais un métier et du travail, la famille s'était réduite à mon frère et une de mes sœurs qui ont fini par quitter eux aussi le domicile familial. Pendant des années, elle assurera le fonctionnement de la maison familiale, s'occupant de moi et gardant la maison accueillante pour toutes celles et ceux qui avaient l'occasion de repasser.

Q : Comment s'est manifestée l'insuffisance respiratoire qui est apparue longtemps après l'épisode de la polio?

R : Pendant ces 10 années de travail, le problème c'est que ma capacité respiratoire a diminué tout doucement. Le vieillissement, c'est sûr qu'à 30 ans on est moins souple qu'à 20 ans, la cage thoracique est moins souple, donc on respire moins bien, l'activité professionnelle, la fatigue. C'est vrai que je passais mes week-ends à récupérer de la fatigue de la semaine et mes vacances à récupérer de la fatigue du reste de l'année. J'ai commencé à travailler en 1971, et en 1973, j'étais déjà de nouveau suivi par l'hôpital de la Croix-Rousse pour des problèmes de baisse régulière de capacité respiratoire et d'augmentation régulière du taux de gaz carbonique (CO2) dans le sang qui se traduisait par des migraines nocturnes aggravées en cas de sommeil prolongé, parce que quand vous avez trop de CO2 dans le sang, ça vous donne mal à la tête et donc moins je dormais, plus j'étais à l'aise. Faire la grasse mat', c'était catastrophique. L'idéal, c'était de ne pas trop dormir. Il y avait plein de choses un peu contradictoires. Parce que c'est ça le côté un petit peu sournois, pour nous les polios, ceux qu'on appelle les restrictifs, c'est à dire que même si le tissu pulmonaire est en bon état, si les muscles de la respiration fonctionnent mal, l'évacuation du gaz carbonique ne se fait pas normalement (hypercapnie) et il s'entasse dans l'organisme.

Cette situation s'est dégradée très lentement, ma capacité vitale passant de 1,2 à 0,95 litre de 1973 à 1981 alors qu'apparaissaient d'autres symptômes : transpiration abondante à la fin des repas, somnolence, torpeur intellectuelle, œdème des jambes, tachycardie, encéphalopathie respiratoire (troubles psychiques = trou de mémoire, mot prononcé à la place d'un autre, etc) et hypertension. C'est un peu miséricordieux dans la mesure où c'est comme si vous étiez dans du coton, ça vous émousse tout ce qui serait difficile à vivre.

L'organisme a plusieurs mécanismes de défense en réponse à la mauvaise ventilation qui se traduit par la diminution de l'oxygène et l'augmentation du gaz carbonique dans le sang. D'abord il stocke le gaz carbonique sous forme chimique, c'est à dire de bicarbonates, qui reste dans le sang et aussi s'accumule dans les os, puis lorsque ce mécanisme est dépassé le sang devient acide (acidose respiratoire). Il se dit que c'est peut-être aussi parce qu'il n'y a pas assez de transporteurs pour l'oxygène (pas assez de globules rouges) et le taux de globules rouges (GR) augmente. Et pour moi, il avait augmenté à peu près de 20%, ce qui est un signe tout à fait caractéristique de quelque chose qui dure depuis longtemps. Vous savez que, quand on envoie les athlètes à Font-Romeu ou en altitude, c'est justement pour faire monter le nombre de globules rouges, eux c'est pour transporter de l'oxygène, moi c'était aussi pour éliminer le gaz carbonique. Le taux de GR a augmenté et ça n'a toujours pas suffi. Alors le système suivant de compensation, c'est de se dire que le cœur ne bat pas assez vite et qu'il faut augmenter la fréquence. Le pouls ne descendait pas en dessous de 80, 90 et dès que je faisais un effort, je montais à 140. Là aussi, le cœur fait ça pendant un certain temps. Et puis il y a les effets secondaires indésirables de la diminution de l'oxygène qui est l'hypertension artérielle pulmonaire (cœur pulmonaire chronique). Tous ces mécanismes se mettent en place plus ou moins simultanément et quand le cœur commence à être trop fatigué, et bien il s'écroule et c'est la décompensation cardiaque d'origine respiratoire.

C'est ce qui m'est arrivé. J'avais cessé mon activité professionnelle au début du mois de juillet, mais sans noter d'amélioration notable et après un bilan où les gaz du sang ont atteint les valeurs suivantes : pH 7,27, PCO2 54, PO2 43 (valeurs normales pH 7,42, PCO2 40, PO2 100), le médecin m'avait dit : “ Il faut arriver à une ventilation assistée par trachéotomie ”, puisque, à l'époque, il n'y avait pas d'autre solution.

Je savais ce que c'était puisque j'avais déjà été trachéotomisé une première fois. Pour moi, ce n'était pas du tout la peur de l'inconnu mais plutôt du “ trop connu ” si j'ose dire. Bref, j'avais dit : “ Je vais faire ça pour l'anniversaire de ma polio ” et on avait fixé une date qui correspondait à la date anniversaire de ma première trachéotomie, soit 26 ans après. Certains y voient de l'humour un peu bizarre (rires)… C'était donc prévu. On aurait dû faire cette deuxième trachéotomie à froid, c'est à dire que je sois ventilé avant que l'organisme ne s'effondre. Et puis j'ai fait ma décompensation trois jours avant et je suis rentré à l'hôpital en urgence. La seule satisfaction que j'ai eue, c'est de savoir que j'avais vraiment attendu le dernier moment et que je n'aurais pas pu tenir plus longtemps. J'étais allé jusqu'au bout.

Q : Qu'est ce qu'exactement une trachéotomie ?

R : Une trachéotomie, c'est un orifice que l'on fait dans la trachée pour y faire entrer directement de l'air ou enlever les sécrétions qui l'obstruent et gênent la respiration. Cette ouverture se fait à l'endroit ou la trachée affleure la peau, entre les deux clavicules à la base du cou. Il vous suffit d'appuyer avec le doigt à cet endroit pour vous faire tousser ce qui montre bien que la trachée est juste sous la peau.

Pour conserver cette ouverture, (la nature cherchant toujours à reprendre ses droits et fermer cet orifice non naturel), on y introduit un petit tube d'argent ou de caoutchouc de silicone ou de matière plastique appelé canule. C'est sur cette canule que je branche mon respirateur.


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Q : Quelles ont été les suites de cette intervention ?

R : Une véritable résurrection de mes capacités intellectuelles obtenue après la chute du taux de gaz carbonique dans le sang. La ventilation assistée permettait enfin aux muscles respiratoires trop sollicités par un fonctionnement permanent à la limite de leur force, de se reposer la nuit. Le rétablissement a été très rapide. J'ai quitté le service des soins intensifs des respiratoires cinq jours après la re-trachéotomie et le centre de convalescence spécialisé dans les problèmes d'adaptation au matériel et de préparation au retour à domicile, 35 jours plus tard.

Je connaissais ce centre, à Hauteville-Lompnès (Ain), car j'y avais fait des petits séjours pour voir si le fait de me reposer arrangeait les gaz du sang, (en fait ça ne les arrangeait pas). En cinq semaines on m'a appris à me débrouiller tout seul : changer ma canule tout seul, m'aspirer éventuellement tout seul, me servir de la machine tout seul, enfin tout ce qu'il faut pour qu'on soit remis à domicile avec un maximum d'autonomie, tout du moins on fait tout ce qu'il faut pour nous rendre autonome. Ça dépend bien sûr des capacités de chacun. Mais l'objectif principal est que les gens se sentent parfaitement maîtres de leur matériel et gèrent ensuite les situations d'angoisse en disant “ s'il se passe ça, qu'est-ce que je fais… ”. De ce point de vue, c'est très très bien fait.

Là où ça s'est particulièrement bien passé, c'est que d'abord, comme j'avais l'habitude d'une certaine manière, je l'ai vécu plus facilement. Je connaissais déjà un peu le sujet et il y a des choses qu'on n'avait pas besoin de m'expliquer, je savais ce qu'il fallait essayer, les problèmes qu'on pouvait avoir, par exemple je craignais d'avoir des sécrétions parce que la canule c'est un objet qui traumatise la trachée. Et comme j'avais une première expérience, je me suis tout de suite mis dans les conditions où justement ça limitait considérablement ce problème. En définitive, je n'ai pas eu de besoins de ce côté-là. Le matériel médical m'était expliqué pour que j'en tire le meilleur profit et que je demande de l'aide le moins souvent possible.

Je suis capable de faire (ou faire faire) tous les actes (aspiration, changement de canule, nettoyage de l'humidificateur, de la sonde d'aspiration, de la canule, etc.) que nécessite ma situation. Il est extrêmement sécurisant de savoir que l'on peut normalement se débrouiller seul sans être relié à l'hôpital par un cordon ombilical.

Q : Alors comment s'est passé le retour à domicile ?

R : Je suis rentré à Lyon en mars 1982, à la maison familiale et j'ai eu relativement peu besoin de m'aspirer. Au début, éventuellement le matin et le soir. Et puis, très rapidement, j'ai vu que si je choisissais bien les paramètres de ventilation, je ne faisais pas sécréter mes poumons.

La maison familiale s'était bien vidée depuis quelques années et à la mort de mon père, nous l'avions divisée en deux appartements séparés ce qui avait permis à ma sœur aînée de s'installer, avec mon beau-frère et le plus jeune de ses enfants, dans l'un des deux. Pour ma mère qui avançait en âge et moi-même, c'était une bonne solution de sécurité.

Q : Qui s'occupe du retour à domicile et fournit le matériel ?

R : La fourniture et l'entretien du matériel sont assurés par l'Association Lyonnaise de Logistique Post-hospitalière (Ex-Association Lyonnaise de Lutte contre la Poliomyélite) A.L.L.P. la plus ancienne des associations françaises d'assistance respiratoire à domicile.
Systématiquement tous les trois/quatre mois, un technicien vient vérifier le matériel et changer les pièces susceptibles de s'encrasser ou de s'user (filtres, etc). Une permanence est assurée 24 h /24 pour les pannes. Une infirmière intervient aussi, en particulier lors du retour à domicile pour s'assurer que toutes les recommandations sont bien comprises et bien appliquées.

Cette organisation, très souple et très efficace a l'immense avantage de me permettre de mener presque la même vie qu'avant, aux moindres frais pour la Sécurité Sociale.

Pour en savoir plus : http://www.allp-sante.com/

Q : Quand vous parlez de matériel médical, de quoi s'agit-il exactement ?

R : Le principe de la ventilation assistée est d'envoyer “ de force ” dans les poumons l'air que les mouvements de la cage thoracique ne suffisent pas à y introduire.

Il y a un compresseur (le respirateur) qui alternativement pousse un volume d'air dans le poumon et le laisse ressortir au rythme approximatif de la respiration normale, un élément intermédiaire qui réchauffe et humidifie l'air (l'humidificateur) et un raccord avec les poumons (la canule). Vous y rajoutez quelques tuyaux et un dispositif d'aspiration pour déboucher la canule avec une sonde si elle est obstruée par des sécrétions.

Le Respirateur

Depuis 1982, je n'ai utilisé que deux modèles de respirateurs : Le Monnal D et l'Eole 3XL.

RESPIRATEUR Monnal D Le respirateur de type MONNAL D, fabriqué en France par la Compagnie Française de Produits Oxygénés devenue Taema (filiale de l'Air Liquide), est un appareil d'un poids (15 kg) et d'un encombrement (50 x 31 x 16 cm) permettant néanmoins d'être discrètement transportable dans une grande valise à roulettes genre DELSEY. Il consomme 110 VA sous 220 Volts. Le principe ingénieux qui avait été trouvé par son concepteur M. Monnier (d'où le nom Monnal : Monn pour Monnier, al pour Air Liquide) pour transformer le mouvement continu du compresseur en mouvement alternatif correspondant au cycle respiratoire, était l'utilisation d'un ballon intégrateur en caoutchouc, symétrique du poumon. Le compresseur travaille à débit constant et un jeu de valves envoie l'air dans le ballon intégrateur pendant la phase d'expiration alors que pendant la phase d'inspiration l'air contenu dans le ballon qui se vide, s'ajoute à l'air du compresseur.

Le TMBF (Temps Moyen de Bon Fonctionnement) a été, en 19 ans, de 11362 heures (Minimum : 4171 h, Maximum : 23829 h).

Eole 3XL Le respirateur Eole 3XL, qui a succédé à l'Eole I puis II, de la compagnie SAIME est d'un poids (8,2 kg) et d'un encombrement (28 x 22 x 27 cm) beaucoup plus réduit. Il consomme 70 VA sous 220 V et comporte une batterie capable de prendre le relais en cas de coupure de courant (jusqu'à 7h d'autonomie d'après le fabricant). Sa forme se prête malheureusement beaucoup moins à la protection d'une valise pour le transport lors des déplacements. Le principe de fonctionnement est très différent. C'est un soufflet entraîné par un moteur pas à pas (comme les têtes d'impression des imprimantes d'ordinateur). Il s'agit d'un mouvement alternatif calqué sur le rythme de la respiration. Revers de la médaille, en cas de toux, le mécanisme de sécurité bloque le déplacement du soufflet qui revient en position de départ pour le cycle suivant. Conclusion, en cas de toux vous n'êtes plus assez ventilé alors qu'avec le Monnal, l'air que vous n'aviez pas reçu lors d'un cycle inspiratoire était, au moins partiellement, stocké dans le ballon pour augmenter le volume délivré lors des cycles suivants.

La présence d'une alarme de haute pression, non temporisable, est beaucoup plus gênante qu'utile puisque vous ne pouvez pas tousser ou vous retourner dans votre lit sans réveiller tout le voisinage. Et il n'est pas possible (pour des raisons de normes de sécurité) de la mettre hors service.

Une amélioration intéressante à apporter serait une fonction “ Turbo ”. En effet, en Ventilation Contrôlée, la fréquence respiratoire et le débit d'air sont calculés pour le sommeil ce qui ne correspond pas à l'effort physique nécessaire au coucher lorsque l'organisme est fatigué par les activités de la journée. Il serait agréable de pouvoir augmenter temporairement et simultanément la fréquence et le débit comme l'organisme le fait spontanément au moment d'un effort avec un retour progressif aux réglages initiaux. Avis au fabricant !

L'Humidificateur

Quand vous respirez par le nez, l'air qui rentre dans les poumons a déjà été chauffé et humidifié par le nez et l'arrière-gorge. Quand l'air entre directement dans la trachée, et bien il faut qu'il soit chauffé et humidifié sinon ce sont les bronches qui vont s'en charger, et donc qui vont sécréter quand vous êtes branché sur la machine parce que l'air est trop sec. Mais quand vous vous débranchez, les bronches vont continuer quand même à sécréter un certain temps bien que l'air arrive par le nez, normalement chauffé. Et, dès le début, comme j'avais parfaitement conscience de ça, j'ai réglé assez haut le système d'humidification de la machine. La fonction importante de l'humidificateur, c'est de faire en sorte que l'air qui entre directement dans la trachée ait si possible la même température et le même taux d'humidité que s'il était entré par le nez. Donc ça veut dire que l'idéal c'est que l'air qui rentre soit à 34°C, 35°C et au moins 80 % d'humidité.

HUMIDIFICATEUR Bennett

C'est l'humidificateur chauffant BENNETT (type Cascade 1, 100 Watts) qui est chargé de cette fonction. Malgré l'utilisation d'une eau réputée peu minéralisée (Volvic), il était nécessaire de détartrer assez fréquemment l'élément chauffant et de nettoyer le bocal tous les trois jours (opération qu'il m'est impossible de faire moi-même) Je me suis donc équipé d'un déminéraliseur et j'utilise une pompe de lave-glace de voiture, alimentée par piles, pour remettre à niveau l'eau du bocal à partir du bidon de 5 litres où je stocke l'eau permutée. Je suis arrivé ainsi à étendre l'intervalle entre deux nettoyages du bocal. J'ai parfaitement conscience des risques que je prends avec un récipient dans laquelle de l'eau stagnante est chauffée à cette température. J'ai vérifié que je n'avais pas, pour l'instant, d'anticorps spécifiques aux légionelles… ;

L'humidificateur chauffant est un élément de confort intéressant. Sa première fonction étant d'éviter le refroidissement de l'eau par évaporation de celle-ci. On peut jouer avec ce climatiseur soit en ne l'alimentant pas en électricité l'été et la température de l'eau baisse jusqu'à cinq degrés en dessous de la température ambiante ce qui rafraîchit l'air inspiré soit en élevant la température de sorte que l'air arrive à plus de 37°C dans les poumons (c'est d'ailleurs la méthode utilisée pour réchauffer les grands brûlés ou les accidentés de la montagne) ce qui permet de dormir sans couverture dans une chambre à 18°C. Il évite également à l'organisme de fournir de l'eau pour humidifier l'air respiré ce qui diminue la quantité de liquide à boire quotidiennement. 0,45 litre est ainsi vaporisé chaque nuit dont 0,2 litre se condense dans les tuyaux. Un quart de litre est ainsi “ respiré ” ; chaque nuit avec des variations de ± 20 % en fonction de l'hygrométrie. Les poumons n'ont pas à sécréter anormalement pendant la période de ventilation assistée et la transition avec la respiration normale du jour se fait sans problème à ce niveau-là.

La Canule

Je connais quatre types de canules la KRISHABERG en argent avec canule intérieure amovible, la BIESALKI semblable à la KRISHABERG mais en matière plastique rigide, la BIVONA en caoutchouc souple de silicone, sans canule intérieure amovible, mais avec un ballonnet d'étanchéité et la RUSH, avec canule intérieure amovible et ballonnet d'étanchéité, intermédiaire entre la BIESALKI et la BIVONA.

CANULE Rush CANULE Bivona

Je préfère les canules souples comme la RUSH ou la BIVONA, même en l'absence de canule intérieure, car du fait de leur souplesse, elles sont très bien tolérées par l'organisme. En particulier, elles ne provoquent pas de réaction de la trachée en cas de mouvements brusques de la tête. En effet, avec la BIESALKI, chaque fois que je tournais un peu brutalement la tête, je me mettais à tousser et l'organisme se défendait en sécrétant du mucus pour “ panser ” la partie ‘meurtrie' de la trachée, J'image un peu, mais il est sûr que cette canule rigide provoquait beaucoup plus de sécrétions que la BIVONA au moment où je portais alternativement l'une et l'autre en en changeant tous les jours ou presque.

Le choix de son diamètre a une très grande influence sur l'évacuation des sécrétions bronchiques.

Si la canule a un diamètre trop voisin du diamètre intérieur de la trachée, les mucosités, ne pouvant que difficilement passer entre la trachée et l'extérieur de la canule, ont tendance à pénétrer dans celle-ci ce qui nécessite un dégagement par une sonde reliée à un aspirateur. Il en est de même si l'on gonfle le ballonnet d'étanchéité.


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Si, par contre, le diamètre de la canule permet une circulation suffisante de l'air et des mucosités autour de celle-ci, il est alors possible de l'obturer lorsque le respirateur n'est pas utilisé et d'éviter ainsi d'encombrer la canule par les sécrétions bronchiques. Un autre avantage réside dans le fait qu'est respectée ainsi la fonction de réchauffage et d'humidification des voies aériennes supérieures, ce qui évite d'imposer ce travail aux tissus pulmonaires.

J'ai remarqué aussi que le fait même de changer de canule “ traumatisait ” la trachée et que, moins je touchais à ma canule, moins j'avais besoin de m'aspirer. Or comme le changement de canule me pose un problème car c'est une opération qu'il ne m'est pas très aisé de faire seul, d'une seule main, j'ai ainsi espacé de plus en plus les changements de canules en constatant que celles-ci restaient remarquablement propres, même au bout de plusieurs semaines ou mois. J'en suis actuellement à un maximum de 24 mois sans changement et j'ai pris le rythme de croisière d'un changement par an.

L'orifice de la trachéotomie étant situé en dessous des cordes vocales, il est impossible de parler lorsque l'air entre et sort par la canule. Les canules sont livrées avec une valve de phonation (bouchon parlant) qui, lorsque l'on n'est pas relié au respirateur, laisse entrer l'air à l'inspiration et se ferme à l'expiration mais j'ai rapidement cessé de m'en servir pour les raisons suivantes :

Ayant actuellement environ 0.95 litre de capacité vitale en position verticale (pour 1,65 m et 60 kg), je n'ai pas de problème “ d'espace mort ” et j'ai pu me permettre de boucher complètement la canule pendant la journée ce qui a résolu ces problèmes.

Pour faire tenir la canule, après avoir essayé les rubans élastiques normalement prévus pour cet usage mais ne résistant pas à la transpiration plus de huit jours, j'ai cherché quel était, dans le commerce, l'objet élastique prévu pour être porté à même la peau. C'est la bretelle de soutien-gorge qui m'a paru être la solution idéale. J'utilise un collier composé, à chaque extrémité, d'un crochet qui s'adapte à ma canule et d'un coulisseau permettant de régler exactement le collier autour du cou. Régulièrement lavé, il dure plus de six mois. Le port d'une cravate fait que l'ensemble est entièrement dissimulé par le col fermé de la chemise et ne risque pas de bouger.

Je n'ai jamais essayé de porter ma canule sans compresses. J'utilise des compresses spéciales toutes prêtes car je ne peux pas utiliser tout seul des compresses ordinaires en gaze. Il s ‘agit de compresses non tissées en viscose et coton, aluminisée sur la face qui touche la peau, avec un trou central et une fente pour la mettre en place. Je n'ai jamais eu de problèmes avec. Référence de celles-ci Métalline Trachéo-Kompresse Ch 31-50, 8 x 9 cm, LOHMAN.

Ma plus grosse contrainte reste ce pansement quotidien.

Q : Et l'aspiration ? Vous n'en parlez pas ?

R : Comme la trachée n'est pas traumatisée par des changements de canule, que leur diamètre a été bien choisi, que je ne gonfle pas le ballonnet d'étanchéité (je suis ventilé “ à fuites ”), que l'humidificateur remplit bien son rôle de substitut de nez quand je suis branché : je n'ai pas besoin de désencombrer une canule qui n'a plus de raison d'être encombrée par des sécrétions “ normales ”. Celles-ci remontent le long de la trachée, à l'extérieur de la canule, et sont évacuées normalement dans l'arrière gorge.

Moyennant ces précautions, j'ai habitué l'organisme à ne pas faire de différence entre le jour et la nuit. Ce qui fait que le jour, sauf bronchite, je ne sécrète pas du tout. La nuit je ne sécrète pas non plus parce que l'humidificateur est bien réglé pour donner aux poumons l'illusion que c'est comme d'habitude. Seul petit bémol, lorsque, après m'être débranché de la machine le matin, l'air repasse sur les muqueuses nasales au repos depuis une dizaine d'heures, celles-ci protestent quelques fois et je dois éponger le bout du nez pendant une heure ou deux.

Ne sécrétant pas, je n'ai pas besoin de m'aspirer. J'ai eu quelques petits soucis pendant à peu près six mois et depuis, pour vous dire, je ne me suis pas aspiré depuis le 12 juillet 1982 !!!!.

Je suis donc complètement autonome de ce côté-là et la seule chose que je redoutais vraiment, c'était d'avoir cette contrainte parce que ça voulait dire que je n'aurais pas de vie sociale. Le principal obstacle aurait été d'avoir des sécrétions qui m'auraient empêché de fermer mon col de chemise et dissimuler ma canule. Je n'aurais pas pu être présentable, si je puis dire, alors que là, je me sens relativement à l'aise pour aller n'importe où. Comme je n'ai pas ce problème, j'ai vraiment minimisé au maximum les contraintes.

Q : N'existe-t-il pas maintenant d'autres techniques moins traumatisantes ?

R : C'est vrai que c'est quand même une mutilation la trachéotomie. Effectivement il existe des techniques dites “ non invasives ” mises au point environ deux ans après. Heureusement que ça ne m'arrive pas maintenant parce que le masque, qui permet d'éviter la trachéotomie, il y a 99 chances sur 100 que je ne puisse pas le mettre tout seul, donc ça veut dire que je ne pourrais pas vivre seul. Alors que me brancher sur ma canule de trachéotomie, je peux le faire tout seul. Donc il aurait fallu que je choisisse entre l'indépendance avec mutilation et la dépendance sans mutilation. Et bien honnêtement, je ne sais pas ce que je choisirais. C'est vraiment un dilemme mais enfin le problème ne s'est pas posé.

Q : C'est l'ALLP qui vous forme à tous ces réglages ou bien faites-vous ça tout seul dans votre coin ?

R : Non, non ! Disons que comme je maîtrise bien mes problèmes, si spontanément on ne me le propose pas, je peux argumenter. Et puis avec moi, ils ne discutent pas trop parce qu'ils savent que si je suggère quelque chose, je l'ai déjà plus ou moins officieusement testé et que je veux simplement officialiser quelque chose que j'ai trouvé de convenable pour moi.

Q : Vous leur en faites part ?

R : Oui ! Et puis les médecins aiment bien. Il y a des choses qu'ils sont obligés de dire parce que ça engagerait leur responsabilité s'ils ne le disaient pas. Je prends un exemple : normalement ces canules, ils conseillent de les changer toutes les semaines ou au maximum tous les mois. Mon record actuel c'est deux ans ! Oui ! Pourquoi ? Parce qu'au début, je le faisais avec difficulté puis au bout d'une semaine, la canule était propre. Donc j'ai augmenté : 15 jours, 3 semaines et puis un jour, je n'ai pas pu la remettre. Il se trouvait que ma sœur infirmière était à la maison  ; c'est elle qui me l'a remise et j'ai décidé à ce moment-là, de ne plus le faire seul. Donc je montais à l'hôpital et c'était tout à fait officieusement que l'infirmière de consultation me la changeait… Pareil, au bout d'un mois, elle était encore propre donc j'ai augmenté deux mois, trois mois, quatre…et c'est comme ça que j'en suis arrivé à deux ans et, en général, le modèle que j'avais avant se cassait. C'était un caoutchouc plus souple et l'œillet d'accrochage cassait. Celles-ci sont très résistantes. A la limite, les médecins ne sont pas mécontents de savoir que quand ils disent un mois, ils prennent un sacré coefficient de sécurité. C'est vrai que j'ai quand même conscience des règles d'hygiène, j'ai quand même un certain nombre de connaissances pour ne pas prendre de risques. Je pense qu'ils ne sont pas mécontents de voir qu'il y en a qui poussent les limites relativement loin et sans catastrophe. De toute façon, s'il y a une catastrophe, je n'irai pas me plaindre (rires)…Je l'aurai fait en toute connaissance de cause. Je prends un contre-exemple : Bon, je vis seul et je dis que si je tombe, ça peut être mortel, donc je ne suis pas sûr qu'on va pouvoir faire ça longtemps parce qu'à la limite, on pourrait reprocher au médecin de me faire courir un risque trop important en me laissant vivre seul et qu'on pourrait m'imposer de vivre dans un établissement où il y a du personnel. Vous savez, avec les trucs actuels, on fait un procès chaque fois qu'il y a un problème ! Ce n'est pas invraisemblable de penser que ce qui a été fait il y a 20 ans, ce n'est pas sûr que ce soit faisable encore longtemps. Alors bon, je suis capable de défendre mon point de vue en disant que de toute façon ce que je demande au corps médical, c'est de m'éclairer sur les risques que je prends, et les risques, je les prends en toute lucidité. Donc, je n'ai pas du tout l'intention qu'on m'impose quoi que ce soit, ça va parce que je pourrais me défendre mais ce n'est pas sûr qu'un jeune, myopathe par exemple, pourrait le faire. Vous voyez, il y a des problèmes qui ne se posaient pas il y a 30 ou 40 ans et qui maintenant…

Un jour j'étais à un colloque où justement quelqu'un évoquait ce genre de problème, je n'ai pas pu m'empêcher de prendre la parole : “ Je suis désolé, j'ai quand même le choix de mon mode de vie, ce n'est pas le médecin qui va décider pour moi ! ”.

Ce n'est pas forcément évident dans le monde dans lequel on vit. Toute la presse et les médias risquent de vous tomber dessus si vous avez mis les gens en danger.

Q : Là (au moment de l'entretien), vous avez une respiration naturelle ?

R : Oui. Debout, j'ai presque un litre de capacité respiratoire, je ne peux pas courir, c'est sûr, je n'ai pas de marge de sécurité. Mais au repos, je ne suis pas essoufflé, je n'ai pas la dyspnée du repos. J'ai juste la dyspnée de l'effort comme pour les cardiaques. Par contre couché, ce n'est presque pas mesurable (capacité vitale en position allongée sur le dos < 0,4 litre). Au repos, je respire 0,6 L en dormant. Avec une activité physique, je ne vous raconte pas, ce n'est pas jouable.

En fait mon problème de respiration en position allongée vient de ce que j'ai une respiration “ paradoxale ”. Je n'ai presque pas de muscles intercostaux pour “ soulever ” la cage thoracique à l'inspiration et les muscles du cou (les sterno-cléido-mastoïdiens) ne sont que des muscles respiratoires d'appoint pour des efforts de quelques minutes. Donc, quand je respire au repos, debout ou assis bien droit, je contracte mes muscles abdominaux pour expirer en abaissant la cage thoracique, et quand je relâche mes muscles, la cage thoracique revient en position d'équilibre en faisant rentrer un peu d'air dans les poumons. En position verticale, la cage thoracique n'a pas à lutter contre la pesanteur pour bouger ce qui n'est pas le cas en position allongé sur le dos.

Q : La mise en invalidité ?

R : Demandée lors de mon séjour en centre de convalescence, je l'ai pris de manière très positive en me disant que j'allais prendre ma retraite à 37 ans. Chouette ! Je vais pouvoir faire que ce qui m'intéresse.

A posteriori, le seul réel problème qui aura fait obstacle à la reprise d'une activité professionnelle est la dépendance aux conditions météorologiques. Je dois limiter les sorties lorsque le temps est mauvais puisqu'il m'est impossible de mettre un imperméable ou un manteau et de tenir un parapluie. J'ai vérifié à de nombreuses reprises qu'il me faut respirer un air à une température supérieure à +8° C si je veux pouvoir faire, sans précautions particulières, des efforts comme marcher plusieurs centaines de mètres ou monter plus d'un étage. Avec des antécédents asthmatiques familiaux, j'ai compris que ma gêne respiratoire due à l'air froid était assimilable à un asthme à l'effort et pouvait donc être traitée par un broncho-dilatateur. J'ai essayé avec succès la Ventoline dont j'avais conservé un flacon aérosol, dans des conditions qui auraient été insupportables autrement. Dorénavant, j'inhale donc une ou deux bouffées de Ventoline avant de m'exposer à l'air froid (en dessous de +8° C) et je ne sors pas du tout s'il neige ou il gèle. C'est vrai que ça aurait été quand même été délicat d'avoir régulièrement à téléphoner à son employeur pour lui dire : “ Aujourd'hui je ne viens pas travailler, la météo n'est pas favorable … ! ” .

Il y a aussi une plus grande sensibilité aux germes microbiens responsables des infections pulmonaires et même avec des précautions, presque chaque année, je dois rester dix ou quinze jours sous antibiotiques, sans sortir.

Enfin, l'exposition prolongée aux pollens entraîne une irritation des bronches qui dégénère en bronchite. J'ai mis plusieurs années à comprendre pourquoi, dès que je passais une demi-journée en plein air lors des premiers (ou des derniers) beaux jours, je commençais une bronchite les jours suivants. La rhinite allergique du printemps (rhume des foins), j'y avais bien pensé, mais pas aux pollens de septembre : Armoise et surtout Ambroisie.


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Q : Comment avez-vous repris votre vie ?

R : Quand je me suis trouvé “ inactif ”. L'APF dont j'étais adhérent depuis que j'avais été soigné après ma polio, m'a immédiatement mis le grappin dessus : “ Est-ce que vous êtes libre ? On cherche quelqu'un qui connaisse le monde des hôpitaux (j'ai passé plus de trois ans de ma vie dans des hôpitaux et des centres de rééducation fonctionnelle), le monde des personnes handicapées et le monde du travail… ”. Donc je suis allé, en tant que représentant des associations de personnes handicapées, à la COTOREP (COmmission Technique d'Orientation et de Reclassement Professionnel) du Rhône où j'ai siégé de 1983 à 1989, trois demi-journées par semaine. Et puis la loi de 1987 a créé la Commission Départementale des Travailleurs Handicapés, Mutilés de guerre et Assimilés. (qui est aussi le contentieux de la première section de la COTOREP) qui donne son avis sur les accords d'entreprises pour des entreprises qui n'ont pas leur effectif de travailleurs handicapés. J'ai présenté ma candidature, ça me permettait de les faire bénéficier de mon expérience. Et puis au lieu d'avoir trois commissions par semaine, j'en avais une tous les deux mois, c'était moins prenant. J'y ai siégé pendant neuf ans et puis, je me suis installé seul ici dans cet appartement. J'ai pris une sorte d'année sabbatique et après j'ai été renommé à la commission COTOREP Fonction Publique. J'ai quand même participé aux décisions concernant les demandes d'au moins 10 000 personnes. Je suis très œcuménique sur le handicap. J'ai vu beaucoup de choses et c'est vrai que ce n'est pas inintéressant d'avoir quelqu'un qui y est passé, qui connaît des personnes qui y sont passés. Et puis, je discute avec les gens, par exemple à chaque fois qu'il y avait un congrès national qui se tenait dans la région, par exemple la Fédération des Insuffisants Rénaux, la mucoviscidose, la sclérose en plaque, etc… j'y étais. Quand je traîne dans les couloirs de ce genre de congrès, je ne suis pas médecin, ceux qui bavardent avec moi voient bien que j'ai un problème moi aussi, ils n'ont aucun bénéfice à tirer de moi et puis si on veut essayer de me faire pleurer, il faut quand même un argument sérieux parce que si ce sont un peu des fumistes, je peux les faire pleurer aussi si je veux. C'est intéressant parce que les personnes montrent d'une manière simple quels sont leurs vrais problèmes, là où la maladie les gêne dans leur existence. D'une conversation avec un insuffisant rénal dialysé, la conclusion des deux c'était : “ Moi, j'aimerais pas être à votre place ”, sous-entendu, moi je gère bien mon problème mais le vôtre a l'air beaucoup plus difficile à gérer. C'est très intéressant de pouvoir bavarder avec les gens et j'allais dire sans qu'ils aient tendance à majorer pour essayer d'obtenir un avantage.

En 1983 la micro-informatique a débarqué. Je connaissais la responsable d'une association qui éditait des revues scientifiques. Elle m'a dit qu'ils aimeraient bien s'y mettre mais personne n'y connaissait rien et elle se méfiait des vendeurs qui proposaient des choses à des prix…à l'époque tout à fait astronomiques. Donc ça a été la première association dont je me suis occupé. En 1984 c'est l'APF, délégation du Rhône, pour une autre raison. Ils géraient leur fichier de donateurs et d'adhérents par une société de services en ingénierie informatique (SSII) qui mettait la clé sous la porte. Ils avaient trois mois pour en trouver une autre ou faire le travail eux même. J'ai écrit “ vite fait ” un petit programme de gestion (à l'époque, il n'existait rien de tout prêt), c'était même pas des compatibles PC, c'était avant. Et j'ai commencé par eux et puis de fil en aiguille, les associations qui étaient en contact avec l'APF faisaient appel à moi pour un coup de main, un conseil etc… J'aidais régulièrement à installer du matériel, je formais les utilisateurs, j'ai fait beaucoup d'initiations et de dépannages par téléphone. Tout ça (Bernard montre son appartement rempli d'ordinateurs) c'est pour l'APF. Au départ c'était pour l'association elle-même. Maintenant que ça s'est démocratisé, c'est pour les particuliers. Exemple le COMPAQ qui est là est destiné à une personne qui a la sclérose en plaque et qui peut encore taper mais qui a l'impression que ça ne va peut-être pas durer éternellement. Comme elle ne sait pas se servir du clavier, elle veut apprendre pendant qu'elle a encore une bonne dextérité pour que si dans 1 an ou moins, elle est moins à l'aise, elle ait déjà les réflexes, elle ait appris pendant que c'est possible. Au début donc c'était des associations, maintenant c'est plus des particuliers. C'est vrai que c'est de plus en plus compliqué, les gens ramassent des virus facilement, ils ne savent pas s'en débarrasser. Maintenant c'est le bouche à oreille des particuliers. Ce sont, de préférence, des personnes handicapées ou des personnes actives dans le milieu associatif, bénévoles ou salariées. Je m'occupe de leur ordinateur personnel et surtout ne pas faire de concurrence à ceux qui en vivent. Je ne m'occupe pas d'entreprise parce qu'elle est normalement faite pour faire du profit, donc c'est normal qu'elle paye le service dont elle a besoin. Par contre quand c'est une personne handicapée qui a besoin d'adaptation, là, on passe un temps qui n'est absolument pas vendable, parce qu'il mangerait tout le bénéfice du vendeur voire beaucoup plus. C'est vrai que je me suis occupé d'une synthèse vocale pour une personne malvoyante, j'ai 2 personnes qui tapent dans des conditions très difficiles, un avec une licorne (un casque avec une tige d'aluminium et une boule de caoutchouc au bout) et il tape avec la tête et un autre qui tape un bâton dans la bouche.

Par l'informatique, je rencontre énormément de personnes de milieux très différents. C'est pour ça que c'est très intéressant ce que je fais. J'ai une vie beaucoup plus intéressante pour les autres que quand j'étais salarié. J'étais parfaitement interchangeable. Honnêtement, je ne veux pas me vanter, mais depuis que je ne travaille plus, je me sens beaucoup plus utile à la Société ! (rires) Oui, parce que je fais des choses que personne ne voudrait faire sans se faire payer.

Q : Vous faites ça bénévolement ?

Oui ! Ce serait impossible de facturer. Et puis de toute façon, je ne le veux pas dans la mesure où je suis payé par la Société à ne rien faire puisque j'ai une pension d'invalidité de la Sécurité Sociale, bon, ça me donne bonne conscience aussi de rendre à la Société ce qu'elle me donne en n'ayant pas besoin de chercher du travail. Si j'avais besoin de travailler, je n'aurais pas trop de difficultés au niveau des compétences dans un entretien d'embauche. Mais surtout je ne veux pas faire de concurrence déloyale à ceux qui en vivent, je ne marche pas sur leurs plates-bandes ce qui fait qu'en général je suis bien avec les fournisseurs de matériel parce qu'ils savent ce que je fais, ils savent que s'ils vendent du matériel, j'ai un petit peu conseillé donc on ne les dérangera pas pour des queues de cerises. Et puis moi, quand je leur fais porter une machine sous garantie, ils savent que c'est ça, ça et ça. Ce n'est pas la personne qui a mis la disquette à l'envers. C'est l'avantage d'avoir une bonne réputation, une fois j'ai eu une panne de soudure sèche, panne épouvantable à détecter. Ils ont fait tourner la machine pendant 3 jours. Ils m'ont dit que si ça n'avait pas été moi, ils ne l'auraient jamais fait…

Alors ça, ça m'occupe bien ! Et puis, je récupère tout le vieux matériel que je donne pour de l'initiation. Mais alors ça, ce n'est pas seulement pour des personnes handicapées, ça peut être pour des parents par exemple. Vous avez des gamins de six, sept ans qui aimeraient bien avoir un ordinateur, les parents n'ont pas les moyens. Si la personne me connaît, quand j'ai des machines d'avance, je leur en passe une. Je vais en donner une à une auxiliaire de vie qui travaille à l'APF. Elle sert les repas aux personnes handicapées, elle a une fille de sept ans, je lui ai promis. Ce sont des PC qui ont dix ans mais pour jouer et apprendre à se servir de la souris, le gamin ne regarde pas trop !

Q : Et pour attraper tout ce bazar ? (Les étagères hautes sont pleines de boîtes, de logiciels, de cartons)

Q : Il faut que j'aie quelqu'un…(rires) Je ne peux pas bricoler seul. Je sais faire mais il faut qu'il y ait quelqu'un qui soit à mes côtés, qui soit “ mes mains ”. Ça peut être mon auxiliaire de vie ou des amis ou des personnes qui veulent apprendre ou des petits jeunes, en échange d'une heure de bricolage, je leur permets 2 heures d'Internet…

Q : L'appartement

C'est un appartement que j'ai acheté sur plans, je l'ai fait adapter exactement à mes besoins. Comme je pars de l'hypothèse qu'un jour j'aurai plus de difficultés pour sortir à l'extérieur, je n'ai pas voulu me sentir étouffer entre quatre murs. Il n'y a pas de cloisons, ça fait un seul grand volume, ce qui fait que j'ai de la vue, de la lumière. C'est installé un peu comme un bureau. Ce sont des faux plafonds avec des éclairages que je peux déplacer et que je peux mettre au-dessus des tables ou des bureaux qui m'intéressent. Revêtement de sol souple, ce qui fait que si je tombe j'ai un peu moins de chances de m'assommer que si je tombais sur du carrelage et c'est plus facile d'entretien que la moquette. Sinon, il n'y a pas d'interrupteur électrique, c'est une cellule qui déclenche quand la luminosité est insuffisante, ce qui fait que je ne suis jamais dans l'obscurité, j'arrive ça s'éclaire, je m'en vais, ça s'éteint. J'ai fait abaisser le tableau électrique pour pouvoir accéder au disjoncteur. Pour ma machine respiratoire, j'ai un disjoncteur séparé ce qui fait que si ça disjoncte dans l'appartement, la machine reste alimentée, ça m'a déjà servi une fois, j'ai eu un défaut d'isolation sur mon congélateur, ça a fait disjoncter sauf le respirateur et j'ai passé la nuit tranquille. L'électricien a fait un peu la tête, il paraît que ce n'est pas tout à fait normal. Je me suis fait une belle cuisine. Là j'ai un peu investi dans le décorum et en pratique, les plaques de cuisson, je ne peux pas m'en servir moi-même parce que je me brûlerais. Je ne peux me servir de la friteuse que si je suis habillé, parce que j'ai besoin d'un point d'appui. Je ne peux le faire que si je mets le pouce dans une boutonnière de la veste. Par contre le four à micro-ondes, vous voyez, à côté il y a des barquettes de surgelés pour le repas de ce soir. Je peux les passer au micro-ondes tout seul. Je mange et je bois debout, accoudé au comptoir.

L'avantage de ma chambre, c'est que c'est un tout petit volume à chauffer donc en hiver, je peux avoir facilement deux ou trois degrés de plus que dans le reste de l'appartement ce qui est beaucoup plus confortable pour moi qui ne peux pas remonter mes couvertures. Là ce sont les appareils respiratoires : dessus c'est le modèle actuel et dessous c'est en dépannage. Et comme je suis très prévoyant, j'ai un petit frigo à la tête de mon lit avec de quoi boire et manger pendant deux jours. Donc si je reste coincé deux jours sans sortir du lit, je ne mourrai pas de faim ni de soif. Dans la salle de bain, évacuation par le sol, ce qui fait qu'on peut me donner la douche au milieu de la pièce. Là, j'ai fait décentrer le plan de toilette puisque je me rase et je me lave assis. J'ai un sèche-mains sèche-cheveux à air chaud mural, chauffage à infrarouges, brosse à dents électrique. Et ça c'est un nettoyeur à ultra sons pour les lunettes.

Q : L'aménagement de cet appartement, vous l'avez pensé seul ?

R : Oui. Disons que ça a mûri seul comme je connais bien mes problèmes. L'intérêt de n'avoir pas de cloisons, d'avoir un seul volume, c'est que j'ai pu installer dès l'origine un climatiseur réversible qui me chauffe en hiver (pompe à chaleur) et me rafraîchit en été. Lors de la canicule de cette année (2003) où la température est montée jusqu'à 40°C, je n'avais que 25°C dans mon appartement (27°C l'après-midi où il faisait 40°C).

Q : Pas d'intervention d'ergothérapeute ?

R : Non. Ils ne sont pas intervenus mais je connais “ Mieux-Vivre ”, c'est un centre de documentation sur le matériel et les aides techniques pour personnes âgées et handicapées et je me suis occupé de leur informatique dès 1986 ce qui fait que j'ai eu l'occasion de voir pas mal de choses. De temps en temps, quand ils ont un problème informatique, ils me font signe. J'ai participé plus ou moins à un CD ROM européen sur tout ce qui existe comme matériel, je n'ai pas de matériel spécifique, je n'ai que du matériel grand public, simplement j'ai choisi…

Avec mon appartement, je suis le plus autonome possible.

Q : Rien n'est sur mesure ? <

R : Si, le bar. La hauteur du comptoir. Je me suis baladé avec un mètre à ruban dans les différents cafés où j'avais mes habitudes, (rires) pour regarder quel était celui dont la hauteur me convenait le mieux. Fallait voir la tête des patrons ! (rires). Je leur ai expliqué tout de même ! Le reste, ce sont des trucs ordinaires mais bien choisis.

Il y a aussi les vêtements ! Pour compenser les déformations et être présentable, je suis obligé d'être habillé “ sur mesure ”. Pour les chemises, c'est la largeur d'épaule et la longueur des manches qu'il faut ajuster. Pour le costume, c'est tout un ensemble de choses. Ma main droite repose toujours dans la poche du pantalon pour soulager l'articulation de l'épaule puisque le bras est pendant. Il faut donc une veste avec fentes sur le côté. Les poches intérieures dont je peux me servir doivent être toutes du côté droit, à des hauteurs bien déterminées. La poche extérieure doit être sans revers et en biais pour que je puisse l'atteindre sans avoir besoin d'avoir la main à une hauteur trop précise. La taille du pantalon est ajustée pour que je puisse le porter sans bretelles et même sans ceinture, etc… C'est sûr que mon budget vêtement est important par rapport à quelqu'un qui peut s'habiller en grande surface.

Q : Vous vivez debout ?

R : Absolument. Je respire mieux. Pour vous dire, même des fois, quand je vais à Paris en TGV, je préfère rester debout dans la voiture du bar plutôt que d'utiliser la place assise qui m'est réservée. Mais il y a surtout une autre raison, c'est que je ne peux pas plier le bras contre la pesanteur et je dois travailler le bras étendu, (pendant). En étant debout, la main est juste à la hauteur des tables et je peux profiter du mouvement de la marche pour lancer la main si je veux accéder à quelque chose un peu plus en hauteur. Je ne peux pas tenir le bras plié. Je m'accroche la main à mes vêtements ou à une petite chaîne autour du cou quand j'en ai besoin. De toutes façons tout ce qui est au-dessus de 1,50 m m'est inaccessible.

Le fait de rester debout à, bien sûr, des conséquences sur la circulation sanguine des jambes et j'ai dû subir un éveinage de la veine saphène intérieure gauche suite à des plaies variqueuses à répétition.

Q : Alors que reste-t-il comme contraintes ?

R : Ayant pris l'habitude d'être correctement ventilé en position allongée, je ne supporte plus de m'étendre sans mon respirateur. Je me ventile en moyenne 10 heures par nuit, sans oxygène, et dès que je m'allonge, que ce soit pour prendre mon bain ou pour regarder la télévision de mon lit. Plus question de siestes sur la plage ni même dans un fauteuil relax et il me faut emporter tout mon matériel si je veux dormir, ne serait-ce qu'une nuit, en dehors de chez moi.

Alors au début, je n'ai pas voulu me limiter à cause de ça. Je suis même allé en Biélorussie, j'ai passé une semaine à Minsk avec le matériel, ce qui a épaté ceux qui nous recevaient. Ils m'ont dit : “ Vous savez, chez nous, vous seriez à l'hôpital jusqu'à la fin de vos jours. ”. A l'idée que je vivais chez moi et qu'en plus je voyageais avec, alors là ! C'était en 1990. En gros, ils avaient 30 ans de retard. En 1990, ils en étaient là où on en était en 1960 en France. Je prenais quand même un tout petit risque parce que s'il y avait eu une panne, le dépanneur le plus proche était à 1000 km, à Varsovie ! Enfin, je ne suis pas kamikaze et de toute façon, ils ont des machines similaires en réanimation dans les hôpitaux…

Jusqu'en 1997 et l'installation dans mon appartement, ça ne m'a pas empêché de me déplacer quand j'en avais envie. Maintenant, en vieillissant je n'ai peut-être plus les mêmes besoins et puis dans la mesure où j'ai pu le faire, je renonce plus facilement en me disant : “ Je l'ai fait pendant que ça me faisait plaisir. Maintenant, le désagrément de trimbaler du matériel dépasse le plaisir que je peux en tirer. ” Je n'ai pas pris de vacances depuis et je crois que je n'en reprendrai probablement plus… Mais si je le veux, je sais que je le peux. Je l'ai déjà fait et puis comme j'ai de quoi m'occuper de toute façon…Donc simplement j'ai un peu changé. A la limite, peut être que je l'ai fait avec dix ans d'avance par rapport à quelqu'un qui, simplement par l'âge, éprouve moins le besoin d'aller voir ailleurs.

Je suis obligé de faire très attention à tous les facteurs qui peuvent se conjuguer pour diminuer ma capacité respiratoire. Une expérience qui aurait pu mal se terminer m'a appris à être prudent et à mettre toutes les chances de mon côté en affrontant le froid ou l'altitude la vessie et l'estomac vides. Dès que j'ai quelque chose qui reste trop longtemps dans l'estomac, ça me gêne pour respirer, donc il faut qu'il reste vide le plus longtemps possible.

Ce que j'ai trouvé comme équilibre petit à petit ?

Je programme la télé de ma chambre pour qu'elle me serve de réveil (et qu'elle éclaire la pièce). Donc, à 5h00 la télé s'allume. Je me réveille très tôt pour être à l'aise à 8h parce que, quand je me débranche de la machine le matin, il me faut presque deux heures pour être capable de faire un effort sur le plan respiratoire. Je pense que c'est parce que les alvéoles pulmonaires sont un petit peu sous pression pendant la nuit et pour retrouver leur élasticité normale, il faut un certain temps. Je bois juste une tasse de café et mon Auxiliaire de Vie vient m'habiller et préparer le repas du soir. A huit heures, je suis habillé et prêt à sortir si la météo le permet. Je ne mange rien à midi, juste une tasse de café. Je bois un peu pendant l'après-midi parce que je ne buvais pas du tout et j'ai fait des coliques néphrétiques (lithiase urinaire), donc je me force à boire, en principe une bière, au milieu de l'après-midi. Je ne mange le soir qu'au moment où je sais que je pourrais me brancher sur mon respirateur immédiatement après et je m'endors tout de suite. La nuit, je bois une ou deux bouteilles d'½ litre d'eau. Et quasiment en dormant. J'entrouvre à peine un œil. Le fait d'être branché sur mon respirateur me permet de boire d'un trait, sans avoir besoin de reprendre mon souffle. Il faut savoir que boire couché entraîne une modification de l'effet gustatif car on goûte alors avec le palais plus qu'avec la langue ce qui est parfois très agréable lorsqu'on boit du jus de pomme par exemple.

Finis les pique-niques, les invitations à dîner et les repas au restaurant …Moi, ça ne me gêne pas de voir les autres manger, mais je sens bien que ça les mets mal à l'aise, donc je décline les invitations. Seuls quelques amis très intimes m'invitent à dîner chez moi. “ Tu ne t'occupes de rien, on apporte tout ! ”. La conversation à lieu pendant l'apéritif et dès la dernière bouchée du dessert…

Q : Vous avez un rapport assez particulier avec la nourriture !

R : C'est vrai que, maintenant, manger n'est plus un plaisir car au fur et à mesure que l'estomac se remplit, je suis de plus en plus mal à l'aise pour respirer. S'il existait une grosse pilule qui me permettrait d'avoir mes calories quotidiennes sans remplir tout l'estomac, je serais très intéressé.

Instinctivement, je choisis les aliments les plus riches en calories sous le plus faible volume ce qui fait que je mange tout ce qui est déconseillé par les nutritionnistes : Frites, Charcuterie, Quiches, Fromage, Olives, Gâteau au chocolat… Par contre, il est impératif pour moi de ne pas grossir (ça augmente les besoins en oxygène), et comme chez un homme la graisse a tendance à se mettre sur l'estomac, c'est aussi ma capacité respiratoire qui est en jeu. De fait, toute la nourriture que j'absorbe le soir est stockée la nuit et utilisée au fil de la journée le lendemain. Il faut donc que je module ma ration alimentaire en fonction de celles des jours précédents et du résultat de ma balance. Je ne suis aucun régime si ce n'est d'être capable d'évaluer quotidiennement la quantité de calories absorbées.

Il est vrai que j'avais été grandement inquiété quand, ayant pris presque cinq kilos pendant un été très chaud (abus de boissons riches en calories), j'avais constaté que j'avais perdu 25% de ma capacité respiratoire. Heureusement, j'avais pu perdre ces kilos immédiatement.

J'essaie aussi de privilégier les aliments dont la “ combustion ” dégage le moins de CO2 . Il faut savoir que là où les glucides dégagent 1 de CO2 les lipides dégagent 0,8 et les protides 0,7.

Q : Le tabac ?

R : Je ne fume plus du tout depuis 1982. J'ai très peu fumé grâce au Docteur Pierre STAGNARA qui me suivait depuis mon retour à Lyon en 1957. Quand j'ai eu 16 ans, il m'avait dit lors d'une consultation : " Je ne t'interdis pas de fumer car tu ne suivras pas mes conseils. Je te permets donc de fumer, mais seulement le cigare ! ". Devant mon regard interrogateur, il avait ajouté : " Un cigare, ça se savoure ! On n'allume pas un cigare avec le mégot du précédent ! Il faut avoir du temps pour le fumer et n'avoir que ça à faire ! ". Grâce à lui, j'avais une excuse pour refuser une cigarette qui m'était proposée en disant : " Excusez-moi, je ne fume que le cigare ! ". Et j'ajoutais quand même : " Prescription médicale ! ".

De fait, je ne fumais guère qu'après un bon repas, généralement le dimanche. Il est vrai que, n'ayant que l'usage d'une seule main, quand je fumais, je ne pouvais rien faire d'autre pendant ce temps, sinon bavarder. Fumant très peu, je pouvais me permettre de fumer très bon. Avec un collègue de travail, on avait même pris l'habitude d'aller à Genève le 14 juillet chez Davidoff, pour faire le plein pour l'année.

J'ai fumé trois fois après ma trachéotomie et le dernier cigare que j'ai fumé m'a été offert par le médecin chef du service de réanimation. Une manière de dire que, si j'en avais vraiment envie…

Q : L'alcool ?

R : Si je dois reconnaître un vice, ce serait celui-là.

Avant d'être correctement ventilé, je ne supportais plus l'alcool. Le moindre verre de vin me donnait la migraine (du fait de l'excès de CO2 que j'avais dans le sang). Or j'avais constaté par hasard que le whisky ne produisait pas cet effet. Et, comme après le décès de mon père qui n'aimait pas le whisky, j'avais " hérité " de quelques très bonnes bouteilles qu'il n'avait pas ouvertes, j'ai pris l'habitude de boire du whisky, du bon whisky. Maintenant, je peux à nouveau boire n'importe quel alcool sans migraines, mais comme j'ai pris goût au whisky, si je bois un apéritif, c'est de préférence celui-là mais je ne refuse pas le champagne…

Je ne bois pas pendant le repas car ça prendrait trop de place dans l'estomac. Je bois donc éventuellement un peu d'alcool en apéritif, mais obligatoirement avec modération. Je ne peux pas prendre le moindre risque de chute.

Q : C'est votre plus grosse crainte ?

R : Il y a deux ans, j'ai eu un petit granulome dans la trachée, à l'endroit où le bout de la canule butte sur la trachée. Il avait fait une petite excroissance de chair à l'intérieur de la trachée et ça bouchait le trou (rires). C'est embêtant…Là, il a fallu l'enlever. C'était le pire de ce qui pouvait m'arriver, ça voulait dire que j'allais être allongé sur le dos et débranché. Parce que pour intervenir dans la trachée, il fallait bien que je sois débranché de mon respirateur. C'était le pire scénario qui pouvait se produire et ça s'est bien terminé. Maintenant, je ne vois pas ce qui pourrait être pire.

Effectivement, la seule vraie grosse crainte que j'ai c'est de tomber. Comme je ne peux pas me relever et que j'ai une capacité respiratoire insuffisante quand je suis allongé, s'il n'y a pas quelqu'un qui me ramasse tout de suite… C'est ma crainte. Je vis toujours avec cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Si je tombe dans mon appartement, j'ai un respirateur de secours posé sur le sol. En espérant que j'arriverai à ramper sur le dos jusque là pour tenir jusqu'à l'arrivée des secours. Parce qu'autrement moi, allongé, je n'en ai pas pour trop longtemps.

Je suis tombé deux fois en 22 ans. Une fois à la maison familiale, je me suis pris les pieds dans un fil électrique. C'est pour ça qu'il n'y a pas de fils électriques qui traversent la pièce dans mon appartement. La première fois, une de mes sœurs m'a entendu tomber, elle m'a ramassé presque inconscient et m'a branché. La deuxième fois, c'était deux heures après le décès de ma mère donc c'était une circonstance exceptionnelle. Mon auxiliaire de vie savait qu'il ne fallait pas me laisser par terre, elle m'a immédiatement pris sous les bras et m'a collé contre un mur. Je dis à tous ceux qui s'occupent de moi de me prendre sous les épaules et de me coller contre un mur pour que je sois en position verticale. Par contre tout secouriste qui se respecte ne le fera pas. Il ne faut pas que je sois avec un bon secouriste trop consciencieux… Je forme ceux qui m'entourent.

J'apprécie beaucoup la formation qui m'a été donnée après la trachéotomie. On a vraiment fait tout ce qu'il faut pour que je sois autonome. Ils vous éduquent, ils vous forment, vous êtes en sécurité, ils vous ont dit ce qu'il y a à surveiller, ce qui est dangereux. Quand je suis allé en Biélorussie, j'ai eu parfaitement conscience de prendre un petit risque mais pour moi, le risque est relativement modéré, parce que je me connais bien. J'avais emmené deux, trois pièces pour changer éventuellement quelque chose. Je n'ai pas eu l'impression d'être un kamikaze. J'ai beaucoup plus l'impression d'être un kamikaze quand je vais passer la journée tout seul à Paris ! Parce que si je me casse la figure là-bas…Quand vous avez ça qui vous pend au-dessus du nez, le reste…

Je peux dire que je vis dangereusement (rires). Je n'ai pas besoin de pratiquer un sport extrême pour avoir des poussées d'adrénaline, il me suffit de trébucher dans la rue lorsque je suis tout seul.

Q : Vous êtes très conscient…

R : Oui, c'est ça, je suis très conscient. C'est l'ignorance qui vous met en danger.

Mais grâce aux médecins qui ont toujours répondu à toutes mes questions, j'estime que j'ai une qualité de vie tout à fait remarquable. Si vous regardez tous les problèmes que j'ai, je crois quand même que j'ai de la chance malgré tout ! Je mets à profit tout ce que la vie me donne.

Q : Et en cas de coupure de courant ?

R : Le Monnal n'avait pas d'autonomie. En cas de panne ou de coupure de courant, il ne me restait plus qu'à m'asseoir au bord du lit et attendre. A Lyon même, le courant électrique a déjà été coupé deux fois la nuit, sans préavis, pendant une vingtaine de minutes. Heureusement, même s'il n'y avait pas une alarme d'alimentation électrique, le silence soudain suffit à me réveiller bien avant le manque d'air.

Pour mon confort personnel et sans que cela soit une nécessité vitale, j'avais fait l'acquisition, aidé par ma Mutuelle, d'un groupe électrogène à alimentation mixte : essence ou gaz. Ce groupe m'a servi, à la campagne, pour passer des nuits paisibles en cas d'orage quand le courant était fréquemment interrompu. L'intérêt d'une alimentation au gaz résulte dans le fait que l'autonomie est quasiment illimitée avec le gaz de ville et d'au moins 24 heures avec le gaz en bouteille (propane ou butane).

Ce cas de figure ne peut plus se produire avec l'Eole 3.

Mon problème, c'est uniquement la position allongée. Si je pouvais “ dormir debout ” au sens littéral du terme, je pourrais me passer du respirateur au moins une nuit.

Lorsque je vais passer la journée loin de mon domicile, je suis toujours à la merci d'un incident pour le retour. Deux fois déjà, j'ai failli rater le dernier TGV pour rentrer de la région parisienne. Que faire dans ce cas ? 1ère solution : aller à l'hôpital dans un service de réanimation. A 1000 €uros le prix de journée, j'aurais honte. 2ème solution : demander à l'association locale (p. ex l'ADEP à Paris) de me fournir le matériel et l'auxiliaire de vie pour me permettre de passer la nuit dans un hôtel. Envisageable mais compliqué. 3ème solution : trouver un établissement ouvert au public la nuit jusqu'à 5h30 et prendre le premier train du matin. Ceci sans manger bien sûr. Je pense que c'est cette 3ème solution que j'essaierais. Je ne suis encore jamais resté 36 heures sans manger mais je pense que c'est faisable sans faire d'hypoglycémie. Mon record actuel est de 29 heures et c'était pour le passage à l'an 2000. Pour participer aux réjouissances et au cas où il y aurait eu une coupure générale d'électricité au passage du millénaire (bug de l'an 2000), j'avais attendu minuit passé pour dîner.

Q : Votre activité et vos occupations actuelles ?

R : Mon temps se partage entre l'informatique (personnelle et celles des autres), les différentes commissions dans lesquelles je siège, les organismes de formation dans lesquels j'interviens, les salons, congrès, colloques…, etc

Q : Et vos loisirs ?

R : Oui ! Très bonne question ! Il y avait les échecs, c'est vieux, je n'ai plus le temps.

La radio ? A une époque où j'imaginais être condamné à rester chez moi, j'avais envisagé d'être radioamateur. J'étais déjà CiBiste et j'ai l'habitude des radiocommunications. J'ai fait longtemps de l'écoute de stations de radio lointaines (DX'er) ce qui est très intéressant. Maintenant, aux heures où les conditions de propagation seraient favorables pour les écoutes lointaines, je dors. Et puis Internet a bouleversé les conditions de contact avec le reste de la planète !

Accessibilite La philatélie ? Avec quelques autres philatélistes handicapés, nous avons fondé une association philatélique : la S.E.P.P. (Société d'Études Philatéliques des Paralysés) qui est en fait une collection thématique, à plusieurs, sur les timbres consacrés au handicap et aux personnes souffrants d'un handicap. Présentée dans des expositions, cette recherche thématique va être bientôt accessible au plus grand nombre sur Internet. En 1988, nous avons été à l'origine d'un timbre français consacré à l'accessibilité. Ce timbre a été imprimé à plus de cinq millions d'exemplaires…

Mais c'est vrai que j'aurais tendance à qualifier ça de centres d'intérêt plutôt que de loisirs !

Non, je n'ai pas de loisirs actuellement parce que, la télé, aller au cinéma ou au théâtre, être assis, je ne suis pas très à l'aise. Donc en sept ans, je suis allé deux fois au ciné. Deux heures sans bouger, bof ! Heu ! Je crois que je n'ai pas de loisirs (rires) !

Q : La lecture ?

R : Je ne lis presque plus depuis que j'ai été opéré de la cataracte. Il y a une dizaine d'années elle a avancé rapidement. Probablement dû au fait que, après ma polio, comme on ne voulait pas me mettre debout pour que ma colonne vertébrale ne se déforme pas trop, on était sur des chariots plats, couchés sur le dos et de temps en temps on nous sortait pour prendre le soleil, sans lunettes de soleil. Donc je pense que l'opacité du cristallin… J'ai été opéré de la cataracte parce que je ne voyais plus les irrégularités du sol et j'avais déjà trébuché deux ou trois fois, ce qui m'avait très très très fortement inquiété. J'étais allé voir un chirurgien à l'Hôpital Edouard Herriot, Mme T.. Je lui ai dit, voilà mon problème : “ Je voudrais un cristallin artificiel de façon que sans lunettes, je voie quelque chose. Je ne voudrais pas quand je n'ai pas de lunettes, prendre des risques donc je voudrais un œil qui voie le sol et un autre qui puisse lire. ”. Elle a réfléchi deux secondes et m'a dit “ Ce n'est pas classique mais je comprends parfaitement vos raisons, c'est faisable, je vous le fais ”. C'est pour ça que j'ai le plus grand respect pour elle parce que j'avais une raison particulièrement sérieuse de vouloir quelque chose d'inhabituel et qu'elle l'a fait. Ce qui fait que si je n'ai pas mes lunettes, je vois le sol et je peux lire. Je lis beaucoup moins depuis que je ne peux plus lire au lit. Je lis des revues accoudé au comptoir, mais je ne lirai plus 300 pages de suite. Je n'ai pas tellement le temps non plus en définitive. Avant, un livre par jour, ça ne me faisait pas peur.

Q : Voulez-vous nous en dire un peu plus sur vos activités.

R : L'informatique, je vous en ai déjà parlé. C'est quand même mon activité principale, tout au moins celle qui me prend le plus de temps.

Les commissions sont la COTOREP Fonction Publique et la CRCI (Commission Régionale de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales). La COTOREP Fonction Publique, c'est un sas pour postuler dans la Fonction Publique si l'on est déjà reconnu Travailleur Handicapé. La CRCI : Bernard Kouchner a fait voter la loi du 4 mars 2002 sur l'indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales. Dans cette commission, il y a des représentants des usagers de la santé et l'APF a présenté un candidat pour Rhône-Alpes et ce candidat, c'est moi. J'ai un poste de suppléant. Et c'est là que je vois que comme j'ai passé 3 ans de ma vie dans les hôpitaux plus mon expérience à la COTOREP, c'est vraiment utile. Pour le moment, il y a une commission par mois mais ça commence à s'intensifier. Il y a pas mal de demandes. On fait des conciliations. L'objet d'une conciliation quand il n'y a pas de séquelles, c'est de mettre face à face, devant témoins, le plaignant et le professionnel de santé incriminé et que, par exemple, le médecin dise : “ Oui, je n'ai pas suffisamment fait attention à ce que vous m'aviez dit. ”. Et que le patient dise : “ Bon, ça va, je l'ai entendu dire qu'il n'avait pas fait attention, donc je suis satisfait, on clôt l'affaire. “ .

Les formations : Quand les écoles de travailleurs sociaux cherchent quelqu'un pour parler de la législation concernant les personnes handicapées et en particulier de la loi du 30 juin 1975 qui a institué les COTOREP, en général c'est vers moi qu'elles aboutissent. Depuis bientôt vingt ans, je parle d'un sujet abstrait : la Législation, en l'illustrant avec des exemples concrets. J'utilise aussi mon expérience de l'informatique pour répondre à la question : “ Que peut-on mettre dans un fichier informatisé quand on est un travailleur social ? ”. COTOREP et Loi “ Informatique & Libertés ” sont les deux sujets que j'aborde régulièrement dans les différents endroits ou j'interviens.

En matière de salons, congrès, colloques… Je me tiens au courant sur Internet des sujets qui m'intéressent ou me concernent. Dès qu'il y a quelque chose qui se fait à Lyon, j'essaie d'y assister. Par exemple les salons spécialisés Handica (ou Autonomic à Paris), les “ Journées Internationales de Ventilation à Domicile ”, les “ Actualités en Réanimation ”, “ Scoliose et Insuffisance Respiratoire ”, “ Infections Nosocomiales ”, … Et dans les coulisses de ce genre de manifestations on rencontre les laboratoires et les fabricants de matériel. Donc on peut échanger avec les professionnels et avoir directement les informations les plus récentes. Enfin…j'aime ça aussi !

Q : Qui vous apporte, au quotidien, l'aide dont vous avez besoin ? L'auxiliaire de vie vous suffit ?

R : Oui ! J'en ai trois qui se relayent. Mais c'est vrai que c'est moi qui dois leur apprendre ce qu'il faut connaître de mes problèmes. Je compte beaucoup sur l'ALLP pour l'entretien du matériel, pour l'évolution des techniques, tout ce qu'ils font remonter aux fabricants mais pour mon organisation personnelle, j'aime bien être le plus autonome possible, ne serait-ce que parce que de ce fait, j'ai moins l'impression de dépendre des autres. Là au moins j'ai l'impression que je me prends en main complètement.

Quoique m'étant occupé du système informatique du service d'auxiliaires de vie de l'APF, je n'ai pas pu en bénéficier parce que mes besoins ne sont pas assez importants. J'ai besoin obligatoirement d'une heure par jour, le matin, pour m'habiller et éventuellement une heure le soir pour le repas et le coucher. Bon, en pratique, on ne déplace pas une auxiliaire pour moins de deux heures consécutives donc je ne peux pas passer par un service d'auxiliaires de vie. C'est moi qui emploie directement avec le chèque emploi service, ça veut dire qu'il faut que je recrute moi-même. La difficulté est de trouver les personnes compétentes.

Q : Comment faites-vous ?

R : Et bien difficilement ! En définitive, c'est le bouche à oreille. Il s'agit vraiment d'emplois de proximité. Il faut arriver à recruter dans une aire géographique très proche pour que les auxiliaires puissent venir travailler à pied ou à bicyclette à la rigueur. Pour qu'il n'y ait pas de temps de déplacement, de problèmes de grève des transports publics. Parce que moi, j'aime bien manger tous les jours, être habillé tous les jours… Si je n'ai personne, je ne mourrai pas de faim (au pire je me nourrirai de cacahuètes, de pâte d'amandes et de barres chocolatées) ni de soif mais je n'aurai plus de vie sociale. Je ne pourrais pas sortir, ni recevoir. Il ne me restera que le téléphone…

Comme c'est un emploi de proximité, je ne peux pas demander à l'ALLP, ils ne vont pas trouver quelqu'un qui habite près de chez moi. Et pourtant, c'est ce dont j'ai besoin. Donc c'est à moi de faire mon réseau.

Actuellement, la personne qui assure les cinq jours de la semaine habite au 3ème étage de mon immeuble. Il est difficile de faire mieux. Son métier officiel, c'est assistante maternelle…

Q : Pourriez-vous mobiliser votre famille par exemple ?

R : En dépannage, oui. D'abord, il n'y a pas d'obligation entre frères et sœurs. Ça, c'est quelque chose que j'ai toujours dit quand je me suis installé dans mon appartement pour qu'ils ne se sentent pas obligés. C'est vrai qu'il m'arrive de leur demander de m'aider et ils l'ont toujours fait très gentiment. Mais le fait de savoir qu'ils n'en sont pas responsables, c'est important pour la tranquillité de chacun. D'abord moi, ça m'évite de les “ fatiguer ” pour des choses qui leur sont indues. Je sais exactement ce dont j'ai besoin, c'est déjà pas mal.

Q : Votre avenir ?

R : Ce qu'on peut dire quand même souvent pour les polios, c'est qu'on a une usure un peu prématurée de l'organisme parce qu'on a tiré sur la corde, parce que vous voulez en profiter pendant que vous pouvez en profiter. Bref de ce côté là, je n'ai aucun regret. Si je dois vraiment ralentir considérablement ce que je fais, j'aurai le sentiment de ne pas avoir perdu de temps. C'est vrai que j'ai pu travailler normalement, m'acheter mon appartement. Et donc depuis 1982 je vis, je ne dis pas je survis parce que le terme pourrait être considéré comme péjoratif mais je vis, grâce au matériel que l'ALLP met à ma disposition. Mais quand, je me suis installé ici, dans cet appartement, je me suis dit, c'est la dernière étape. Je me suis fait mon petit cocon. J'espère bien y terminer mes jours parce que je ne pourrai pas être mieux ailleurs.

A part fonder un foyer, je peux dire que j'ai eu une vie normale. Ce qui n'était pas du tout gagné au départ !

Q : C'est votre regret ?

R : Je vais vous dire. Je ne pensais pas vivre aussi longtemps. D'abord à 37 ans, j'ai failli y rester. Après je me suis dit, est-ce que je vais être à la merci d'une chute ou d'une bronchite ou… Alors il se trouve que j'ai malgré tout de bonnes défenses immunitaires, quand j'ai fêté mes 50 ans, je ne pensais pas y arriver ! Vraiment ! Et quand j'avais commencé à travailler, je m'étais dit, c'est certain que je ne travaillerai pas jusqu'à l'âge de la retraite donc je me donnais 10 ans pour acheter tout ce que je voulais, économiser etc.… Et j'ai travaillé 10 ans et 11 mois. Vous voyez…L'intuition ! Même si elle n'est pas raisonnée, on a quand même conscience des limites qu'on aura. C'est probablement pour ça que je n'ai pas voulu m'engager.

Q : Vous êtes en contact avec des enfants avec tout ce que vous faites…

R : Pour les gamins, j'ai des contacts par l'informatique. Pour tous, je pourrais être leur grand-père et j'ai les mêmes centres d'intérêt qu'eux assez curieusement. C'est assez drôle de voir qu'on peut être beaucoup plus âgé et être capables de s'intéresser aux mêmes choses qu'eux. Le fait qu'on puisse parler de quelque chose en commun. Les enfants du quartier me connaissent et m'appellent Monsieur Bernard (rires). J'ai donné deux, trois PC à certains, je suis bien intégré dans le quartier. Je ne me sens absolument pas inutile.

Q : Et puis vous êtes en ville, vous n'êtes pas isolé…

R : Ah, ça aussi. J'avais eu le choix, j'avais envisagé d'aller m'installer dans un petit village du Beaujolais par exemple, racheter un bistrot désaffecté qui donne sur la place du village et puis faire ce que je fais ici, sauf que ce serait un endroit plus accessible au public. Et puis je ne l'ai pas fait pour des raisons de sécurité. Là, je suis à dix minutes de l'hôpital Edouard Herriot en cas d'urgence. Si je suis dans le Beaujolais avec trente cm de neige, et si l'hélico n'a pas le temps d'arriver... J'ai donc renoncé à habiter à la campagne pour avoir une chance de sauver ma peau en cas de gros pépin.

Q : Vous y allez de temps en temps ?

R : Même pas, parce que je suis allergique ! Dès qu'il y a des pollens, c'est catastrophique. Non, moi je suis fait pour l'univers de béton, là, fermé, en regardant par la fenêtre.

Q : Quel regard portez-vous sur les gens qui n'ont, a priori, aucun problème de santé et qui…

R : Euh…Ils m'énervent ! Par contre, quand ils sont avec moi, ils ont conscience qu'il ne faut pas m'en parler (rires). J'avais une collègue de travail dont je savais par les autres qu'elle était toujours en train de se plaindre dès qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Elle ne l'a jamais fait devant moi…

Alors d'une certaine manière, on attire les personnes dépressives, elles pensent que vous avez une force qu'elles n'ont pas et elles se disent qu'à votre contact, ça va les stimuler, les dynamiser. Je veux bien jouer ce rôle, c'est une manière de leur remonter le moral, mais bon, il ne faut pas que ce soit 24h sur 24. Je ne suis pas psychiatre !

Q : Ça ne vous aurait pas intéressé ?

R : Ben je vais vous dire, quand j'ai dû chercher un métier, mon père étant médecin, je m'étais dit que je pourrais reprendre sa suite, sauf que je ne le pouvais pas comme généraliste. Donc la seule spécialité que j'aurais pu faire, c'était psychiatrie. Honnêtement à 20 ans, non ! Non ! Non ! Maintenant… avec tout ce que j'ai vu dans la vie…Non, c'est plutôt l'expérience que j'ai eue de la vie. Tout ce que j'ai vu en COTOREP, c'est une tranche de l'humanité que peu de gens ont l'occasion de connaître en définitive. Et même un médecin, sauf peut-être un généraliste, sinon vous pouvez voir toutes les pathologies, toutes les séquelles. Je suis très œcuménique sur le handicap. Et c'est vrai que ça ouvre l'esprit, je suis certainement plus humain après avoir siégé à la COTOREP. Avant, c'était les machines, la formation scientifique, j'aurais été plus “ sec ”. Alors que là, …

Q : Et la politique ?

R : Ah, si ! J'étais très actif dans le milieu associatif, j'ai participé à la création de la Maison des Jeunes et de la Culture de mon quartier quand j'avais 18 ans. J'en ai été trésorier pendant neuf ans, et là aussi, (on parlait d'une manière d'entrer en contact avec les autres), être trésorier ça signifie qu'on est obligé de connaître tout le monde et inversement. Donc entre 18 et 26 ans, jusqu'à ce que je travaille, je connaissais presque tous les jeunes de mon quartier.

La seule raison pour laquelle je n'ai pas fait de politique, c'est que dans une grande ville vous êtes obligé d'être affilié à un grand parti. Alors que dans une petite commune, avec une liste d'union locale, c'est sûr que je me serai retrouvé dedans. Je connais des gens d'un peu tous les bords, c'est intéressant aussi mais je ne voudrais pas me marquer. Et souvent quand vous vous engagez dans un parti, vous perdez la moitié de vos amis. Donc, non…

Q : Vous ne râlez jamais ?

R : Ben…ça ne sert à rien ! C'est vraiment ma philosophie de l'existence depuis une vingtaine d'années parce que justement j'en mesure le prix. Je considère que j'en suis à ma troisième vie. Une deuxième fois après m'être sorti de la polio, une troisième fois après ma décompensation. Tout le monde n'a pas droit à trois vies. J'en mesure vraiment la valeur, c'est sûr que je profite de chaque jour. Non, je considère que j'ai eu de la chance, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

Q : C'est votre philosophie ?

R : J'ai mené une vie très active sous le sourire un peu narquois d'autres polios plus âgés qui me disaient : “ Profites-en bien car tu verras qu'après 50 ans tu seras obligé de ralentir !  ”. C'est effectivement ce qui est arrivé mais ma plus grande satisfaction est de n'avoir pas de regrets de ce côté-là. Compte tenu de mes séquelles, je n'aurais pas pu faire plus.

Moralité : Il faut faire ce dont on a envie, tout de suite, sans attendre d'être dans l'impossibilité de le faire.

Pour en savoir plus : http://www.apf-moteurline.org/aspetsmedicaux/pathologies/tbles assocoes/respiratoire.htm


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